lundi 15 février 2010

Stéphane Fiere "La Promesse de Shanghai"

A l'occasion de la séance du comité de lecture Aimer Lire le 11 février dernier, nous nous sommes attardés sur le roman de Stéphane Fiere, La Promesse de Shanghaï.

Quand, par millions, les paysans chinois abandonnent leur village pour rejoindre une jungle urbaine, ne croyons pas que ce soit de gaieté de cœur, ou qu’ils le font pour ajouter un peu de piment à leur morne existence… C’est de survie qu'il est ici question. Le choix est mince, après l’expropriation brutale des terres, entre une misère sans nom ou l'exode : « Ce que le parti donne, le parti reprend. Quand il veut. A sa guise. La loi est toujours du côté des plus forts » ; et surtout des plus riches, comme l’illustre le parcours chaotique et poignant de Fu Zhanxin, qui arrive à Shanghai un matin de décembre avec son père – le bail de leurs terres n’a pas été renouvelé (la cellule locale du parti les leur a retirées afin de développer « leur potentiel culturel» - un projet touristique dont les cadres locaux pourront tirer d’importants bénéfices…). De désespoir, la mère du narrateur s’est tuée quelque temps plus tôt. Fu Zhanxin et son père viennent alors rejoindre les masses rurales qui envahissent les grandes villes et deviennent des mingong, des « paysans déracinés », dont on estime le nombre entre 150 et 200 millions aujourd’hui en Chine.

Récit picaresque et fable morale alerte, La promesse de Shanghai est un récit ancré dans la tradition d'un réalisme social empreint d'une belle sensibilité ; on le lit d’une traite tant les tribulations du narrateur, entre comédie et tragédie, offrent un regard authentique sur les absurdités d'un système que l'auteur ne se lasse pas de dénoncer ; la prose, légèrement oralisée, est en parfaite adéquation avec le personnage, avec ce qu’il ressent et expérimente et le lecteur s'attache d'emblée à cet homme à la fois candide et débrouillard, plutôt honnête (quand les circonstances l’y autorisent) et pragmatique, conservant sa sagesse populaire, qui possède une droiture morale rare, incongrue dans ces lieux corrompus et sans âme. Son grand cœur l’incite à aider nombre de ses camarades, une solidarité entre « ventre-creux » plutôt naturelle étant donné les conditions de vie sur le chantier – mais qui ne va pas de soi à Shanghai ; à son propre parcours, s'ajoutent les multiples histoires d’autres mingongs croisés en route : de mini-récits insérés qui accentuent les aspects sociologiques du roman, pittoresques, drôles ou pathétiques, tel celui de Lao Shou, qui pense que son suicide permettra à ses camarades de récupérer un peu d’argent, qu’ils pourront envoyer ensuite à sa femme restée au village, ou encore celui de Guo Tai, condamné à travailler aux côtés du narrateur, parce qu'il n'a pu payer les exorbitants droits d'entrée à l'université. Mais il y a aussi He Gongxin, dont les affaires prospèrent depuis qu'il a ouvert une boutique de violons et de violoncelles fabriqués en Corée du Sud, ou encore Aiguo, prête à tout sacrifier par ambition.

Voir l'article de Blandine Longre sur Sitartmag suivi d'un entretien très intéressant. Et aussi l'article de Brigitte Bontour sur Ecrits-vains.com.

Le prochain rendez-vous du comité de lecture Aimer Lire est fixé le jeudi 11 mars à 14h. Nous étudierons le roman de Mercedes Deambrosis "Milagrosa".

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