vendredi 8 avril 2011

Naissance d'un pont

Prix Médicis 2010, le dernier ouvrage de Maylis de Kerangal est une réussite absolue.

Le titre seul affiche les prétentions démesurées de l'auteure : la naissance d'un pont, comment saisir le moment critique, proprement sur-naturel, qui pousse les hommes à dompter la nature ; comment retranscrire ce qui est toujours tu, les travaux, les chantiers, la boue, l'ennui, bref, ce qu'il y a d'humain dans une construction. Car une fois le pont construit il est trop tard bien sûr et l'homme disparaît et le roman s'achève.

Voilà donc le point de départ du roman : un immense chantier est prévu quelque part en Amérique. Les travaux sont commandés par un maire mégalo revenu complètement secoué d'une visite à Dubaï. Tous affluent vers Coca, la ville qui accueillera le pont, ambitieux diplômés en quête du chantier historique, manards de tous horizons aux histoires complexes et chaotiques à l'affût d'un poste juteux. Le pont se construit et l'œuvre en même temps.

L'auteure livre les portraits d'hommes et de femmes aux destins très dissemblables et pourtant tous réunis sous l'ombre tutélaire de ce pont chéri ou maudit. Comme pour une visite de chantier, le narrateur nous prend par la main et nous fait rencontrer quelques uns de ses personnages comme un chef d'équipe présenterait les quelques membres importants ou influents du groupe. On s'arrête pour apprécier un paysage ou une sensation, puis on retourne écouter l'histoire d'autres vies. Naissance d'un pont est de ces romans qu'on apprécie sans nécessairement s'identifier aux personnages. Le centre d'attraction c'est le pont et rien ni personne d'autre. Mais pas de personnification, le pont n'est ni un monstre, ni un colosse au pied d'argile, il est plus que ça car pris dans sa globalité, vu par tous les yeux, compris au sens propre (pris avec soi) par chacun et donc particulièrement par le lecteur.

Et puis il y a le style aussi. On y ressent une grande liberté ainsi qu'une non moins grande douceur. Les registres de langue se mélangent, onomatopées, franglais, jargon technique, argot et l'ensemble reste fluide. Avec discrétion, ce style éblouit. Mieux, au détour de 2 ou 3 passages, toute la malice de Kerangal (ce jeu de mot n'est pas du tout assumé!) éclate quand le narrateur vient snober le lecteur affirmant que là où les personnages sont ignorants, lui est parfaitement omniscient. L'auteure semble s'ingénier à partager le plaisir qu'elle a d'écrire, sans la moindre lourdeur, au contraire, privilégiant toujours la légèreté, paradoxalement la manière la plus juste pour évoquer une construction si lourde.

Maylis de Kerangal était présente à Bron pour la fête du livre 2011. Elle sera également présente aux Assises Internationales du Roman 2011 organisées par la Villa-Gillet le vendredi 27 mai à 15H. Voir le programme ici.

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