vendredi 16 septembre 2011

Une nouvelle Histoire de France

Depuis cet été, le fonds Civilisation de la médiathèque s'est enrichi d'une toute nouvelle Histoire de France. Édités par les éditions Belin, deux volumes sont d'ores et déjà disponibles pour les emprunteurs. Les titres de cette collection seront tous commercialisés d'ici à la fin de l'année 2011. Nous achèterons progressivement ce corpus imposant :



1870 - 1914 : La République imaginée



1945 - 2005 : La France du temps présent


Voici un projet éditorial ambitieux et novateur.
Tout d'abord il est appréciable de constater qu'un éditeur est encore capable de lancer des paris intellectuels et économiques. A l'heure des interrogations sur l'avenir de l'édition universitaire, le temps des grandes synthèses historiques pourrait passer pour révolu. Or, un rapide calcul permet de constater qu'il faut remonter au début des années 80, il me semble, et l'édition d'une Histoire de France sous la direction de Georges Duby, pour retrouver trace d'une telle entreprise ; soit près de trente ans, autant d'années qui occultent les progrès de la recherche en sciences humaines réalisés durant cette période.

Il était donc grand temps d'informer le public sur les changements intervenus dans le champs des sciences humaines et, par conséquent, dans celui de l'historiographie française : éclatement des disciplines, apports d'autres champs scientifiques et de l'outil informatique, contribution essentielle de l'archéologie, critique nécessaire des travaux produits dans le cadre de l’École des annales, qui imprègnent encore fort logiquement la discipline historique et les manuels scolaires de notre pays.
Il faut aussi souligner l'opportunité d'un tel projet, comme miroir de la recherche et outil de renouvellement de l'histoire nationale auprès du public, à l'heure des grands débats sur la Nation et les visées politiques de l'enseignement de son histoire, en vue de favoriser l'intégration de l'individu à la communauté nationale.

Autre trait remarquable : la modestie de ses auteurs. L'édition d'une Histoire de France est, depuis le monument de l'histoire dite positiviste d'Ernest Lavisse au début de XXe siècle, le moment par lequel une école de pensée succède à une autre. L'histoire de France convoque aussi un esprit académique qui fige un moment historiographique et couronne la carrière d'un historien (Georges Duby, Emmanuel Leroy-Ladurie entre autres pour la précédente, comme consécration de l’École des annales, rappelons-le). Mais sorti du cercle des spécialistes, le public aura du mal à reconnaitre ici les grandes signatures qui dopent habituellement les ventes. Il s'agit plutôt d'une œuvre collective d'historiens aguerris, tous éminents spécialistes dans leur domaine de la recherche pratiquée dans les universités ou les grandes écoles (ENS - Ecole Normale Supérieure, EHESS - Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), plutôt jeunes ou au milieu de leur carrière professionnelle.
Et l'entreprise préfère privilégier le souci du lecteur ainsi que la qualité de l'édition plutôt que de céder au mandarinat et au spectaculaire.

Parmi les caractéristiques éditoriales, il faut souligner la place accordée à une iconographie remarquable et très souvent inédite, en parfaite relation avec le contenu textuel. J'ai également été sensible à la place accordée aux extraits édités de sources directes (extraits de discours, de chartes, etc.) et, pour les deux volumes que je présente ici, à la place accordée aux problématiques sociales et politiques, ainsi que leur impact dans la société française. Je fais ici référence à la victoire progressive, au tournant des XIX et XXe siècle, d'une république parlementaire à la fois bourgeoise, provinciale et impérialiste (la conquête du domaine colonial), à la difficile affirmation de la démocratie et le poids de l'affaire Dreyfus dans cette genèse douloureuse ; ou aux métamorphoses de notre pays accompagnant le développement économique durant les Trente Glorieuses, leur effacement progressif au profit d'une société en proie au doute, qui distingue mal cependant ses propres mutations, sous les effets conjugués de l'intégration européenne puis mondiale et d'une plus grande diversité ethnique.

Pour découvrir chaque ouvrage en feuilletage numérique, cliquer sur les dates :


On pourrait multiplier ainsi les sujets et conseiller une lecture thématique, par étape, comme un grand livre d'histoire servant aussi de manuel discret.
Enfin, j'ai été sensible au petit "plus" de cette collection, proposé dans chacun des volumes : "l'atelier de l'historien". Il s'agit pour les auteurs de présenter les pistes actuelles de la recherche et celles encore en friche, d'associer ainsi le public au "métier d'historien" à la façon des métiers d'arts que l'on découvre parfois par hasard à la faveur d'une visite estivale d'un monument ou des journées du patrimoine ; une façon de ne pas figer le projet et de créer des passerelles entre héritages historiographiques et historiens du futur.

Prochaine acquisition : La France des Lumière (1715 - 1789)

2 commentaires:

winston a dit…

La France du temps présent 1945-1995 vaut surtout par ses illustrations et cartes; le texte en revanche est bien faible, très bavard sur le plan sociologique et très pauvre sur l'économie; disons que c'est de l'histoire pour bobos bien-pensants.

picou a dit…

Bonjour et merci pour votre commentaire.

J'ai déjà lu cinq volumes de cette nouvelle histoire de France et je partage au moins votre opinion sur le plan de la mise en page et des illustrations. Il faut saluer le renouvellement de l'iconographie grâce à des sources que les auteurs sont allés puiser dans toutes les collections de musée, en province comme à l'étranger.
Le contenu me laisse aussi une impression mitigée. En fait, sa principale faiblesse me semble celle du monde universitaire aujourd'hui lorsqu'il peine à restituer un savoir global à destination du grand public : segmentation et manque de liant entre les sujets, spécialisation des laboratoires de recherche, et paradoxalement une certaine uniformité ou timidité du style. Je m'attendais à ce que les auteurs dévoilent davantage leur personnalité. Voilà pour les critiques, un peu brèves. J'ai seulement parcouru le volume sur la "France du temps présent" et je ne peux répondre à votre commentaire dans ce cas précis et sur le fonds. Cependant, il appelle plusieurs questions, je me permets de vous les formuler :
- autant je peux aisément imaginer la place accordée à la sociologie ( la période s'y prête à deux titres : le développement des sciences sociales, la mutation de la société française en passe de devenir une société multi-culturelle, l'hypertrophie des classes moyennes à l'instar d'autres social-démocraties européennes), autant je suis interloqué par la faiblesse de l'analyse économique que vous décrivez. Le livre aurait-il minimisé l'impact des Trente glorieuses et les douloureuses mutations industrielles qui ont suivi ? met-il de côté le deuil de la sidérurgie ? passe-t-il sous silence les conflits ouvriers de la fin des années 70 ? (Lip, Manufrance, etc) ? Pourriez-vous préciser ?
- Enfin qu'entendez vous alors par "histoire pour bobos bien-pensant" ? cela m'intéresserait si vous pouviez développer cette définition... ou bien, si vous voulez, quel serait pour vous la manière de "bien penser" l'histoire de France ? et dans quel but ?
Cordialement,
Votre bibliothécaire

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