mercredi 18 août 2010

Festival du Premier Roman de Chambéry (14)

Suite et fin de nos aventures chambériennes avec la rencontre de Tatiana Arfel et Jean-Baptiste Destremau (déjà vu la veille - voir message précédent).

Née en 1979 à Paris, elle habite aujourd'hui dans le sud vers Avignon. Elle écrit, depuis toute petite, des histoires, des poèmes, des contes. Le passage dans les classes littéraires d’un lycée parisien élitiste lui a fait perdre tout goût d’écrire. Elle s’est orientée vers des études de psychologie clinique et psychopathologie. Pendant ses stages en hôpital psychiatrique elle a imaginé mettre en place des ateliers d’écriture pour valoriser la créativité tout en permettant la décharge par l’écrit du trop-plein de souffrance. Elle s’est inscrite d’abord à des ateliers d’écriture, puis des formations à l’animation, et s’est remise à écrire. Elle a alors écrit des contes, nouvelles, poèmes, puis son premier roman, en 2006. Depuis ses vingt ans elle a exercé toutes sortes de travaux alimentaires : employée en restauration rapide, serveuse, agent hospitalier, secrétaire, distributrice de prospectus, chargée d’assistance-rapatriement, secrétaire... Son travail alimentaire compte peu, il lui sert à subsister et doit surtout lui laisser du temps pour écrire.

Aujourd’hui, elle effectue de temps en temps des missions de psychologue en entreprise. Elle anime des ateliers d’écriture, notamment dans une association de femmes atteintes de cancer. Elle travaille sur un projet d’ateliers d’écriture sur la souffrance au travail, qu’elle a longuement côtoyée lors de ses petits boulots (violence de la productivité, absence de reconnaissance, bureaux en open space, harcèlement moral, troubles physiques et psychiques). Elle veille par-dessus tout à garder du temps et de l’énergie pour écrire. Elle a deux romans en projet, l’un justement portant sur la souffrance au travail et l’autre racontant la vie d’un homme souffrant d’une absence totale de présence au monde

Ils sont trois à parler à tour de rôle, trois marginaux en bord de monde. Il y a d'abord Giacomo, vieux clown blanc, dresseur de caniches rusés et compositeur de symphonies parfumées. Il court, aussi vite qu'il le peut, sur ses jambes usées pour échapper à son grand diable noir, le Sort, fauteur de troubles, de morts et de mélancolie. Il y a la femme grise sans nom, de celles qu'on ne remarque jamais, remisée dans son appartement vide. Elle parle en lignes et en carrés, et récite des tables de multiplication en comptant les fissures au plafond pour éloigner l'angoisse. Et puis il y a le môme, l'enfant sauvage qui s'élève seul, sur un coin de terrain vague abandonné aux ordures. Le môme lutte et survit. Il reste debout. Il apprendra les couleurs et la peinture avant les mots, pour dire ce qu'il voit du monde.

Seuls, ces trois-là n'avancent plus. Ils tournent en rond dans leur souffrance, clos à eux-mêmes. Comment vivre ? En poussant les parois de notre cachot, en créant, en peignant, en écrivant, en élargissant chaque jour notre chemin intérieur, en le semant d'odeurs, de formes, de mots. Et, finalement, en acceptant la rencontre nécessaire avec l'autre, celui qui est de ma famille, celui qui, embarqué avec moi sur l'esquif balloté par les vents, est mon frère. On ne cueille pas les coquelicots, si on veut les garder vivants. On les regarde frémir avec ces vents, dispenser leur rouge de velours, s'ouvrir et se fermer comme des cœurs de soie. Giacomo, la femme grise, le môme, que d'autres ont voulu arracher à eux-mêmes, trouveront chacun dans les deux autres la terre riche, solide et lumineuse, qui leur donnera la force de continuer.

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