mercredi 25 avril 2012

Prix Goncourt 2011

De la baie d'Along à la casbah d'Alger, en passant par Vénissieux, cet écrivain inconnu, jusqu'à la publication de son roman, propose une vision polémique de l'Histoire de France.
Parfois manichéen mais déroutant. Voilà un premier roman hautement singulier. Qu'on en juge : son auteur, Alexis Jenni, se lance dans la carrière à près de 50 ans, adoubé par la couverture blanche de Gallimard, avec un livre de plus de 600 pages, sous un titre qui n'aurait pas déparé au fronton d'un traité militaire du Grand Siècle. De lui, on ne sait que peu de chose : agrégé de sciences naturelles, il vit à Lyon, aime les huîtres, Thomas Pynchon, la cold wave de Joy Division et déteste les vidéos drôles sur YouTube et, plus que tout, les contrôles au faciès dans la rue et le métro. Ce dernier point est d'ailleurs, en creux, au coeur de son roman "historique", dont le propos, ambitieux et "anti-zemmourien" en diable, pourrait se résumer ainsi : les frictions entre bandes de jeunes issus de l'immigration et police au pied des tours de Vénissieux ne seraient que la continuation de guerres menées par la France dans la baie d'Along et la casbah d'Alger. Autrement dit : nous vivrions en pleine guerre civile et nous ne le saurions pas.  
La trame de cet Art français de la guerre, à l'écriture fluide, est assez simple : le narrateur, jeune oisif qui vivote de faux certificats d'arrêt maladie dans une chambre de bonne lyonnaise, rencontre un vieux militaire au "regard couleur glacier", un certain Victorien Salagnon. Flash-back sur la vie de ce soldat indestructible, survivant de trois guerres : engagement dans la Résistance et le maquis, long naufrage en Indochine au sein du corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient, désillusions du "para" en tenue léopard plongé dans les ratonnades de la guerre d'Algérie...
Un petit extrait pour se mettre l'eau à la bouche :  « J'allais mal ; tout va mal ; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n'arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu'aux coudes. Mais il m'a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l'armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails.
  Il m'apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l'art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l'émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue. »

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